Le comité sénatorial permanent des finances nationales

Merci de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui. Je vis à Kelowna, en Colombie-Britannique. Je suis une femme handicapée, et je copréside Le handicap sans pauvreté, mouvement populaire national dont l’objectif est d’éliminer la pauvreté chez les personnes handicapées. J’aimerais me concentrer sur une petite partie de l’énorme projet de loi à l’étude, soit la partie 1(e) du résumé, qui porte sur l’élargissement de l’admissibilité au crédit d’impôt pour personnes handicapées, le CIPH.

Cette section du projet de loi prévoit un élargissement de l’admissibilité en ce qui concerne les fonctions mentales et les soins thérapeutiques essentiels. On estime que cela permettra à 40 000 personnes handicapées de devenir admissibles. Nous appuyons fermement ce type d’élargissement. Cependant, à bien des égards, il s’agit d’une façon de contourner les problèmes. Le CIPH est un moyen imparfait d’aider les personnes handicapées à vivre dans la dignité et l’autonomie.

Premièrement, il n’atteint pas son public cible. Quelque 4,3 millions de Canadiens âgés de 15 à 64 ans ont un handicap. Pour 1,8 million d’entre eux, il s’agit d’un handicap grave, et le CIPH est destiné aux personnes qui ont un handicap grave. Or, seulement 770 000 déclarants ayant un handicap ont demandé le CIPH en 2017, dernière année pour laquelle des données sont disponibles. Comme vous pouvez le constater, même si l’on rend admissibles 40 000 personnes de plus, comme on souhaite le faire grâce à l’élargissement, on ne fait qu’effleurer la surface du problème. À l’heure actuelle, la proportion de personnes gravement handicapées qui se prévalent du crédit est de 42 %. Ce n’est tout simplement pas suffisant.

Deuxièmement, le CIPH n’aide pas les Canadiens handicapés qui ont le plus besoin d’aide. Les personnes qui vivent dans la pauvreté ne paient pas d’impôt. Le CIPH est un crédit d’impôt non remboursable. S’il était remplacé par un crédit d’impôt remboursable, les personnes handicapées les plus nécessiteuses pourraient en profiter.

Troisièmement, le CIPH sert de passerelle vers d’autres prestations, ce qui engendre pour certains non seulement un double problème, mais un problème multiple. À l’heure actuelle, il faut être admissible au CIPH pour avoir accès au régime enregistré d’épargne-invalidité et aux suppléments d’invalidité de l’allocation canadienne pour les travailleurs et de la prestation pour enfants handicapés.

En 2020, le gouvernement a offert un paiement unique de 600 $ aux personnes handicapées en réaction aux difficultés financières créées par la pandémie, mais seulement à celles qui recevaient des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, des prestations d’invalidité du Régime de rentes du Québec, des prestations d’invalidité des anciens combattants ou le CIPH. Là encore, seul un groupe restreint de Canadiens handicapés ont pu y avoir accès.

L’admissibilité au CIPH est extrêmement restrictive. Seules les personnes gravement handicapées sont admissibles. Si le CIPH sert de passerelle vers d’autres prestations, alors non seulement les personnes handicapées qui ne répondent pas à ce critère étroit n’obtiennent pas le CIPH, mais elles ne reçoivent pas non plus les prestations qui s’y rattachent. À mesure que de nouvelles prestations sont offertes, comme la prestation canadienne pour les personnes handicapées proposée dans le projet de loi C-22 déposé le 2 juin, il est impératif que le CIPH ne serve pas de passerelle. Autrement, ces avantages continueront de ne pas atteindre le public cible.

En somme, pour bénéficier du crédit d’impôt pour personnes handicapées, il faut être une personne gravement handicapée qui paie des impôts. Je suis sûre que vous voyez en quoi cela pose problème. Dans le contexte du rapport de la vérificatrice générale de la semaine dernière, ce crédit d’impôt ne sert pas du tout les intérêts des Canadiens handicapés vulnérables qui vivent en marge d’identités intersectionnelles. Ces idées ne m’appartiennent pas en propre. En fait, elles sont exprimées dans des rapports de comités de la Chambre et du Sénat et dans ceux du Comité consultatif des personnes handicapées de l’Agence du revenu du Canada. Vous consacrez du temps à ces comités et à ces rapports. Je suis certaine que, comme nous, vous éprouvez de la frustration lorsque des recommandations restent lettre morte. Dans cette optique, je vous implore de tenir compte du fait que le crédit d’impôt pour personnes handicapées doit faire l’objet d’une réforme majeure afin que les Canadiens handicapés puissent en bénéficier de façon significative. Les mesures prévues dans le projet de loi C-19 sont bienvenues, mais elles ne règlent pas les problèmes liés à ce programme. Merci beaucoup de votre attention.